François Bernard, "tendanceur" et directeur de l'agence parisienne Croisements
François Bernard hume l’air du temps… Il observe, analyse et imagine les tendances de consommation de demain et les grandes évolutions des courants d’art de vivre. Il nous parle du liège.
Planète Liège: Sur “Unplugged”, l’espace que vous avez conçu au salon Maison et Objet en janvier dernier, vous avez choisi d’exposer “Appo”, une serie de plateaux de liège à poser sur le goulot d’une bouteille. Pourquoi ce choix ?
François Bernard: Cet objet que je connais depuis sa création par Carlo Trevisani me plait pour plusieurs raisons. D’abord il est étonnant pour sa matière (trop peu utilisée donc forcément étonnante), pour sa forme, pour la fonction et pour le dialogue qu’il induit avec l’utilisateur. C’est le genre d’objet qui demande une intervention même minimale de la part de l’utilisateur: Choisir une jolie bouteille et “plugger” le plateau dessus. De la part du designer, c’est un mode de pensée très altruiste: créer un objet en pensant à l’autre qui doit faire une démarche pour finir l’objet et lui donner pleinement sa fonction. Cet objet induit donc un dialogue entre son créateur et son utilisateur.
C’est enfin un objet qui a trait à la nourriture, donc un des plus forts ressort de désir actuellement.
PL: Avec cet espace vous pronez “le goût de la simplicité et la saveur du local”. Le liège répond t il à ces critères ?
FB: Le liège répond pleinement à ces critères. Il est à la fois basique, pérenne et très doux.
Il évoque pour moi une “frugalité joyeuse” épicurienne pleine de soleil et de bien vivre avec une grande simplicité. Tout l’inverse de la société bling bling basée sur le seul bien être du renouvellement permanent et rapide .
PL: Que vous inspire le liège ? Quels sont les atôuts majeurs de ce matériau ?
FB: Bien sûr le vin mais également une matière modeste incarnée par un tout petit objet, le bouchon, que les gens jettent. Moi je n’arrive pas à jeter les bouchons. J’en ai plein mes tiroirs, c’est sans doute une question d’éducation. J’ai toujours connu dans ma famille cette tradition de récupération des bouchons pour faire des calles pour les meubles, protéger les plinthes, pour créer des tampons à imprimer pour les enfants.
Les qualités tactiles du liège sont évidentes, sa légèreté également est étonnante par rapport au volume des objets. (Restant dans les qualités esthétiques je ne parlarai pas des qualités d’isolation et d’insonorisation.)
PL: Ce matériau est t il “tendance” dans le mileu du design et de la décoration ? Si oui pourquoi, si non quelles sont ses chances de le devenir?
FB: Comme il est récolté dans des pays proches et que les désirs de proximité, de raccourcissement des circuits de transports, de productions locales, de dialogue entre artisanat et design sont des préoccupations de la création conteporaine, le liège est une matière plus que dans l’air du temps.
Et puis sa simplicité est émouvante, elle donne de l’émotion au produit.
PL: Quels sont les critères essentiels pour qu’un un objet, un matériau, un meuble… devienne “tendance” ?
FB: Dans une ère de communication comme la notre la réponse est complexe et ambigûe. Je crois, au delà de la pression médiatique, à la qualité novatrice des propositions, à la culture du projet et le renouveau est actuellement énormément orienté vers les textures et les aspects de surface qui induisent les formes. Il ne s’agit pas d’habiller mais bien de structurer en fonction des matériaux. C’est une approche fondamentalement nouvelle, proche de l’ingénieurerie. Squelette et peau ne font qu’un. Dans ce contexte, le liège est un matériau très intéressant.
PL: De grands designers anglosaxons (Jasper Morisson, David Michalik…) ont créé de très belles pièces en liège. Quid des français ?
FB: Fréderic Ruyant pour ENO, Sam Barron pour Fabrica, Guillaume Delvigne pour Specimen.
Et je suis certain qu’il y en a bien d’autres.
PL: Le liège est un produit 100% écologique et recyclable. Est ce à votre avis un aspect important pour les designers aujourd’hui ? Sont ils plus sensibles à la protection de l’environnement?:
FB: La pensée design s’inscrit de manière évidente dans un rapport socio-économique. Le design pense l’époque donc forcément les produits recyclables, à faible empreinte écologique, naturels, sont des questions de fonds pour les designers. Le fait n’est pas tant qu’il soit naturel (on commence a ressentir une certaine monotonie face à ce mot) mais bien qu’il soit dans un process de protection et de durabilité (de l’environnement, de l’homme, de ssavoir faire etc…)
PL: Comment voyez vous les années à venir ? Colorées? Epurées ? Ecolo? ....
FB: Un avenir de plus en plus éclectique. L’époque est à la différence, à l’unique, au singulier, des mots qui évacuent l’idée d’une tendance de masse. Il y a un gout prononcé pour la pièce unique, l’objet de collection. Parallèlement il y aura de plus en plus de produits “basiques”, sans décor , juste le meilleur rapport entre la fonction, le besoin et l’usage, la matière, le prix.
Et puis des valeurs autres qu’esthétiques vont voir le jour. Les notions de santé, de bien être, d’innocuité seront de plus en plus fondamentales et l’embellisement du cadre de vie devra de plus en plus être sain avant d’être “Déco”.
La Nature continuera d’être le sanctuaire de ressourcement.
Enfin, à court terme, la couleur reprend de l’importance dans la maison car elle apporte de l’énergie, du dynamisme, de la gaité, ce dont tout le monde manque actuellement. On a besoin de ce bain de couleurs mais en même temps on a besoin d’en changer assez souvent. Comme il est de plus en plus difficile de se réinventer chaque jour, on demande à notre cadre de vie de le faire pour nous.
PL: Pour conclure, 3 mots pour qualifier le liège ?
FB: Léger, doux et ...... pacifique.